LE FANTASME OCCIDENTAL SUR LA FEMME ASIATIQUE
ENTRE CLICHÉS ET SEXISME
Que recouvre la profusion d'images et de fantasmes qui lui sont associées ?
Quelles sont les représentations dans l'art et dans l'imaginaire collectif de la femme asiatique ?
L'Asie est un pôle culturel attirant et mystérieux. L'image véhiculée par la femme asiatique l'est tout autant. D'où vient cette fascination ?
Nous tenterons de répondre à cette question, avec comme fil rouge, les différentes représentations de la femme asiatique dans l'histoire des colonies, des bordels de Saïgon (guerres d'Indochine et du Vietnam) aux mangas contemporains, en passant par le cinéma et la littérature, puis Raymond Gropardon, expatrié en Thaïlande depuis 15 ans, nous expliquera pourquoi il a décidé de quitter la France, il nous aussi donnera quelques détails personnels sur sa liaison avec sa compagne thaïlandaise.
"...UNE POUPÉE AUX YEUX FENDUS..."
Jean-Paul Goude, fameux publicitaire aux multiples facettes, graphiste, photographe, dessinateur, partage la vie du top model Farida, puis enfin de Karen, autre merveille de la nature, qu'il nomme lui-même, "la Jeanne d'Arc coréenne" Il souligne combien les femmes asiatiques (japonaises, chinoises, coréennes...) sont faciles à photographier, il explique son attirance vers la femme asiatique par sa photogénie, son absence "d'accidents" sur le visage, quasi sans relief, l'harmonie des formes. Il la compare à une tête de poupée aux yeux fendus qu'un simple trait suffit à représenter. Il souligne aussi le côté juvénile, presque androgyne de certains corps asiatiques.
Sans équivoque, le photographe affirme que le fantasme de la femme asiatique est un fantasme d'homme blanc que les colons ont importé en Occident au début du siècle.
Photo © Sheng Ye
LES BORDELS D'INDOCHINE
Eric Derro, le réalisateur et anthropologue, assistant du cinéaste Robert Bresson, évoque un imaginaire érotique enraciné dans l'histoire coloniale et les bordels d'Indochine. Les soldats ne cherchaient principalement que des japonaises après la parution du roman de Pierre Loti "Madame Chrysanthème". Un imaginaire s'est créé à partir de là, une sophistication, un raffinement unique en Asie. Les Tonkinoises s'habillaient donc en fonction de cette demande.
L'idée de la femme asiatique, dénudée, aux talents de masseuse... Un imaginaire compact, concentré, produit par des coloniaux français autour de cette représentation de la femme asiatique, chic, raffinée, sophistiquée, une définition détournée de la Geisha, vue par les occidentaux.
La femme asiatique arrive en dessous de l'européenne mais elle a quelque chose en plus : l'exotisme, le charme, le sourire, le visage impénétrable, une grâce, un mouvement du corps qui frappe par rapport à la raideur européenne. C'est en Europe que se sont établis les codes qui persistent encore aujourd'hui. Au 19ème, les femmes sont difficilement accessibles dans nos contrées, une difficulté due à nos cultures judéo-chrétienne et républicaines. Quand vous superposez ces deux cultures vous vous retrouvez face à un bloc de béton !
Dans les faits, les Français installés en Indochine sont le plus souvent célibataires et la relation avec la "congaï" (le terme signifie "fille" en vietnamien et est utilisé par les français pour femme, maîtresse, compagne) n'est pas interdite. La prostitution est même strictement organisée par les autorités coloniales : prendre un territoire, c'est aussi en dominer les femmes.
La beauté des Indochinoises a fait rêver plusieurs générations de Français (la conquête du Vietnam du sud commence en 1858). Romans et chansons en témoignent. On peut citer pour exemple de cette littérature consacrée aux "amours coloniales", le roman de Jean Marquet : "La Jaune et le Blanc" (1927).
Photo © Fes Cannady
Le roman véhicule le cliché d'une population féminine à la sexualité débridée. Dans le domaine de la chanson qui a une importance essentielle à l'époque, la plus connue est sans doute : "la petite Tonkinoise", créée en 1906. Elle a été reprise par de nombreux chanteurs, dont Joséphine Baker, qui met sa renommée à son service en 1930.
Le débat se focalise donc sur les corps, féminin et masculin, européen et asiatique, objets de fantasmes, de désirs, de peurs et par conséquent de nombreux discours. La colonisation est avant tout une rencontre dont le symbole, tant dans les discours que dans la littérature, est celle d'un Européen avec une femme indigène. Cette rencontre est par essence inégale car les Européens ont le pouvoir politique, économique et racial. Ils sont les colonisateurs alors que les femmes indigènes sont les colonisées, soumises de ce fait à une "double domination, masculine et coloniale".
Photo © Jean Boulbet - Siam Evasion
ATTIRANCE ET RÉPULSION...
Fin connaisseur de l'Asie, le cinéaste et critique Christophe Gans, insiste à juste titre sur la différence de culture et ses effets directs :
Je suis amoureux de la culture asiatique mais je ne peux que l'aimer comme une chose mystérieuse dont je ne comprends pas toutes les terminaisons. Le fantasmatique nous permet de pouvoir s'affirmer sans pour autant briser l'enchantement. Dans le cinéma américain l'image de la femme asiatique est contemporaine de la vamp, c'est la femme par laquelle on est fasciné mais qui va avoir notre peau. Fantasme d'attirance et répulsion que les asiatiques ont parfaitement intégré, alors que nous autres judéo-chrétiens, non !
Pourtant la sexualité est un mélange d'attirance et de répulsion et donc la représentation de l'Asiatique maléfique est une façon précise de l'inscrire dans un code érotique.
LE MANGA PULVÉRISE LE PUBLIC !
Le modèle fantasmatique, vous le trouvez d'abord dans le milieu du dessin animé et la bande dessinée japonaise qui forme une population de plus en plus nombreuse. Il faut savoir que la bande dessinée et le dessin animé japonais ont submergé le reste, dans le monde entier et notamment aux États-Unis où le manga a pulvérisé le public (bastion qu'on pensait imprenable avec la présence de l'empire Disney).
Aujourd'hui, la représentation féminine manga influence largement le schéma érotique de la jeunesse, d'autant plus que les mangas sont les premières choses érotiques qui lui parviennent. Cette représentation n'est qu'une vaste arnaque, une usine à fric créée de toutes pièces par les Japonais, sans aucune poésie ni originalité, totalement machiste et dégradante, qui pollue l'esprit de la jeune génération mondiale et salit l'image de la femme.
OBSÉDÉ ET EXPATRIÉ !
Raymond Gropardon, expatrié à Phuket, nous fait part en toute franchise de la principale motivation qui l'a poussée à venir s'installer en Asie et se livre au travers de son analyse et expérience personnelle, après 15 années de vie commune avec sa compagne d'Issan.
Adolescent, j'admirais les visages lisses et purs des Asiatiques, à travers le cinéma, la photographie et la bande dessinée française des années 80. J'éprouvais davantage une attirance, une fascination pour les visages androgynes, la retenue dans l'expression, les longs cheveux noirs, les lèvres parfaitement dessinées, un port de tête différent, plus fier, et soyons honnêtes, la fragilité des corps et les silhouettes graciles. Le côté "femme fragile" me transcendait !
Le réel déclic fantasmatique, aussi loin que je me souvienne aura été l'actrice d'origine vietnamienne An Luu Thuy, du film "Diva", de Beinex. Plus tard, je vouais une véritable admiration pour les couples mixtes tels que Yoko Ono et Lennon, Gainsbourg et Bambou, Aung San Suu Kyi et Michael Aris. Je sublimais les actrices Gong Li et Michelle Yeoh. Dès lors, dans la rue je ne regardais plus que les filles d'origine asiatique. Conscient de ma tare, il était clair que je devais soit me faire analyser, soit me payer un billet pour l'Asie ! Me voici aujourd'hui résident en Thaïlande depuis plus de 20 ans, avec ma douce au regard impénétrable...
Pour les relations éphémères ou couples mixtes d'aujourd'hui, on ne peut nier que l'attirance et les projections fantasmatiques des hommes, reposent sur la sensualité et la douceur des visages à l'enfance éternelle. Leur finesse de corps y est certainement aussi pour quelque chose, vue la prolifération de femmes et jeunes femmes obèses occidentales. Nous sommes tous inconsciemment ou non, motivés par la recherche de la jeunesse éternelle... D'autres facteurs déclencheurs sont provoqués chez certains par le souvenir de l'époque coloniale ou (et) chez d'autres par l'ambiguïté de l'image mi-ange, mi-démon.
Il n'est en effet pas rare, d'assister à une métamorphose soudaine et pour une raison qui reste la plupart du temps obscure : le visage de la douce et juvénile se métamorphose soudainement en véritable furie qui n'hésitera pas à saisir le premier objet à sa portée pour vous atomiser. Il est courant pour les Occidentaux résidant en Thaïlande d'être confrontés à des situations extrêmement violentes qui peuvent parfois dégénérer jusqu'à l'homicide. Non seulement les asiatiques du Sud-Est sont très lunatiques mais leur comportement excessif reste souvent mystérieux et incompris par les Occidentaux... Il est donc de bonne augure pour éviter les conflits, de faire profil bas et d'éviter toutes provocations inutiles.
Pour reprendre une remarque du créateur de la BD Yoko, Roger Leloup : "Quand vous avez une asiatique qui ferme les yeux, il vaut mieux se sauver..."
Malgré tout et fort heureusement, l'orage passe aussi vite qu'il s'est formé, de la vamp hystérique on retrouve le doux visage de porcelaine des premières rencontres.
Aung San Suu Kyi et Michael Aris
Lennon et Yoko Ono
LA FEMME ASIATIQUE VUE PAR UNE ASIATIQUE
Sophie Bredier est française d'origine coréenne, elle n'a jamais compris pourquoi sa propre image était associée à de tels stéréotypes dans lesquels elle ne s'est jamais retrouvée et qui lui paraissaient injustifiés, d'où sa motivation pour réaliser ce document diffusé sur ARTE, il y a quelques années, intitulé "Femmes asiatiques, femmes fantasmes" (dont nous nous sommes largement inspirés pour cet article).
Sa conclusion et son avis définitif, clair et concis après son enquête : "Pour moi la femme asiatique n'existe pas, elle est trop multiple, comme une projection infinie d'images contradictoires."